Journée internationale du domaine public : Célébrons la cohorte 2019 !

C’est aujourd’hui, 1er janvier, la Journée internationale du domaine public, qui remonte à une initiative de Lawrence Lessig en 2010. Suivant cette invitation, nous célébrons l’entrée des œuvres des créateurs et des créatrices dans le domaine public canadien.  Considérant les conditions nouvelles liées à l’extension du droit d’auteur dans le cadre de l’Accord commercial Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), … Continuer la lecture de “Journée internationale du domaine public : Célébrons la cohorte 2019 !”

Members of Terranova snow shoe Club of Montreal, Canada (domaine public).

Le Club de raquettes Terra Nova sur le mont Royal (1875, domaine public).C’est aujourd’hui, 1er janvier, la Journée internationale du domaine public, qui remonte à une initiative de Lawrence Lessig en 2010. Suivant cette invitation, nous célébrons l’entrée des œuvres des créateurs et des créatrices dans le domaine public canadien.  Considérant les conditions nouvelles liées à l’extension du droit d’auteur dans le cadre de l’Accord commercial Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), il s’agit aussi de l’une des dernières éditions — sinon la dernière — du Calendrier de l’avent du domaine public, version québécoise, tel que nous l’avons connu jusqu’ici. Il nous semble donc naturel de le conclure avec la figure de Martin Luther King Jr, illustre défenseur des droits civiques.

Vingt ans de vaches maigres pour le domaine public canadien

À l’automne dernier, en effet, dans le cadre du nouveau traité de libre échange nord-américain (ACEUM), le Canada a réussi à préserver l’exemption culturelle canadienne mais, contre toute attente, cette exception exclut désormais la durée du droit d’auteur. Le Canada rejoindra la catégorie des pays « vie+70 », sur le modèle de la propriété industrielle,  à la manière des États-Unis et de la France actuellement – au lieu de la norme internationale de « vie+50 ans » dont les Canadiens avaient bénéficié en vertu de la Convention de Berne qui la gouvernait jusqu’ici. Le Canada connaîtra donc un gel de l’expiration de masse du droit d’auteur pendant deux décennies. Le lumineux cortège des entrant.e.s, et de leurs œuvres sera suspendu pour les vingt prochaines années.

Mais qui y gagne? Lorsque ces droits sont épuisés, le domaine public favorise en effet une nouvelle vie pour ces créations, vieux et moins vieux classiques.

Si les « ayants droit », parmi lesquels on compte les industries culturelles et les descendants de créateurs et créatrices, se réjouissent, de nombreux bibliothécaires, enseignants, militants des communs numériques et des savoirs libres dénoncent cette situation qui aura pour conséquence de compromettre l’équilibre du droit d’auteur au Canada au détriment des usagers.

Comme l’explique Michael Geist, que je traduis librement ici:

« Cependant, le principal changement en matière de droit d’auteur pour le Canada est la prolongation de la durée du droit d’auteur au-delà du standard international de la vie de l’auteur plus 50 ans après le décès à plus de 70 ans après le décès. La durée du droit d’auteur ne pouvait pas empêcher un accord commercial majeur et le Canada avait accepté une prolongation dans le PTP initial. Cependant, le coût sera considérable, bloquant les œuvres du domaine public pendant des décennies et augmentant potentiellement les coûts de l’éducation de plusieurs millions de dollars. Du point de vue de la politique intérieure, le changement devrait avoir une incidence sur le réexamen en cours du droit d’auteur, car la prolongation de la durée du contrat est l’une des principales demandes des titulaires de droits et des préoccupations des utilisateurs. La prolongation modifie l’équilibre du droit d’auteur au Canada et devrait être prise en compte dans les réformes futures, y compris concernant les avantages de l’extension de l’utilisation équitable afin de rétablir l’équilibre. »

Pour revenir à la situation du Canada, et dans une perspective plus sociale, ces nouvelles conditions restreignant le domaine public canadien sont néfastes pour la diffusion et l’utilisation des archives et des œuvres de l’esprit, les communs, les droits des usagers, le droit à la culture et à l’éducation. Elles sont aussi incompatibles avec la vision d’un projet éducatif citoyen auquel aspirait notamment l’un des derniers entrants canadiens sous le régime actuel: André Laurendeau.

Les États-Unis au bout du tunnel

Paradoxalement, tandis que l’avenir du domaine public canadien s’assombrit cette année, celui des États-Unis, au contraire, s’éclaircit. Comme le souligne Alexandra Alder dans l’article du New York Times du 29 décembre 2018 (citée ici dans ma propre traduction):

« Pour les américains, 2019 marque la première année depuis deux décennies qu’un grand nombre d’œuvres protégées par le droit d’auteur gagnent le domaine public et perdent leur statut de protection, une situation nouvelle qui bénéficiera aux lecteurs et aux lectrices: “une aubaine pour les lecteurs, qui auront le choix d’un plus grand nombre d’éditions, et pour les écrivains et autres artistes pouvant créer de nouvelles œuvres basées sur des histoires classiques sans se voir infliger un procès en propriété intellectuelle.” »

Dans cet article, le directeur exécutif chez Penguins fait valoir que la multiplicité des éditions favorisée par l’accès à ces œuvres anciennes a des conséquences positives sur le marché:

« Avoir plusieurs éditions de ces œuvres en plus d’une énergie éditoriale renouvelée derrière celles-ci étend le marché plutôt que de le cannibaliser, (…) C’est l’occasion de donner un nouveau souffle à ces œuvres. »

L’article présente aussi des études montrant que l’extension du droit d’auteur entraîne un impact négatif sur les ventes et la disponibilité des livres. Alder rappelle qu’il y a quelques années une recherche menée à l’Université de l’Illinois, utilisant un logiciel d’échantillonnage aléatoire de livres disponibles sur Amazon, a permis de révéler que:

« Il y avait plus de nouvelles éditions de livres publiées dans les années 1910 [parce que les droit d’auteur de ces œuvres étaient périmés] que de titres publiés dans les années 2000. Les éditeurs arrêtent souvent d’imprimer des livres qui ne sont pas vendus, mais conservent le droit d’auteur, de sorte que personne ne peut publier de nouvelles éditions. Une fois que les livres entrent dans le domaine public, une plus grande variété de nouvelles éditions redevient disponible, comblant ainsi un trou dans les archives publiques et culturelles. »

Autre éclaircie en Europe

Certaines nouvelles en provenance de l’Union européenne sont porteuses de promesses. Le 21 décembre dernier, dans le cadre de la réforme européenne du droit d’auteur, un développement positif est survenu: les négociations ont provisoirement permis d’inclure une clause relative au domaine public. Cette clause vise à garantir que les reproductions d’œuvres du domaine public ne puissent plus être protégées par le droit d’auteur ou par des droits voisins — comme ces problèmes d’« enclosures » se constatent trop souvent. Cette percée représenterait la première mention du domaine public dans le cadre du droit d’auteur de l’Union européenne. Celle-ci est impliquée dans la défense et la promotion du domaine public à travers le programme Communia.

Des activités et des nouvelles

Notre Calendrier est désormais complété! Il est toujours temps d’y revenir si vous avez manqué certaines des 32 notules.

Cette quatrième édition a été produite cette année encore en toute collégialité avec la version française de cette initiative qui a souhaité publier, en geste de solidarité face à l’extension du droit d’auteur qui  guette les usagers du domaine public canadien, l’une des nos notules. Au cours des dernières années, la publication conjointe de nos calendriers avait une portée symbolique et pédagogique: nous bénéficions des avantages « vie+50 ans » alors que nos collègues subissaient le « vie+70 ans ».

Ressources

Dans le but de sensibiliser les publics à la question du domaine public canadien et des enjeux qu’il soulève en ce moment, une série de ressources ont été constituées. Nous vous invitons à les consulter et à nous aider à les bonifier.

  • D’abord, un glossaire du domaine public au Canada réunit les mots du vocabulaire parfois technique utilisé dans les discours actuels.
  • Ensuite, un cas pratique illustre simplement ce que les conditions et les termes du droit d’auteur, au carrefour de la création et du droit, peuvent représenter pour une créatrice canadienne fictive, et comment ceux-ci peuvent être mis en perspective sur une ligne du temps.
  • Enfin, une foire aux questions vise à faciliter la compréhension de ces enjeux et à offrir des pistes de réponse. Même si nous ne sommes pas juristes, nous avons essayé de rendre plus utilisables les termes du débat.

Exposition

Nous vous invitons à surveiller l’exposition Conrad Poirier, photoreporter : Valoriser les communs du domaine public au Carrefour des arts et des sciences de l’Université de Montréal à compter du 24 janvier. Cette exposition s’enrichira d’une série d’activités de médiation qui seront autant d’occasions permettant de prolonger la conversation.

Pour aller plus loin

Illustration: Le Club de raquettes Terra Nova sur le mont Royal (1875). Gravure publiée dans la revue Graphic, volume XIV, n° 369, le 23 décembre 1876 [source]. Collection du Musée McCord, Montréal [source].